Bulletin spécial sur les activités de blanchiment d’argent liées à la Russie
Numéro de référence : 2023-SIRA-009
Mai 2023
Conformément à la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, le Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE) produit des renseignements stratégiques sur la nature et la portée du blanchiment d’argent et du financement des activités terroristes. Le présent bulletin spécial fournit des renseignements généraux et des informations mises à jour relatives au blanchiment d’argent lié à la Russie. Il vise à informer les entités déclarantes sur les caractéristiques des opérations financières effectuées ou tentées liées au blanchiment des produits de la criminalité. De plus, le présent bulletin tient lieu de mise à jour et remplace la version précédente du bulletin spécial sur le blanchiment d’argent lié à la Russie et à l’évasion des sanctions publiée en mars 2022.
Le contenu du présent bulletin peut être mis à profit par les entités déclarantes pour déterminer et évaluer les risques de blanchiment d’argent et de financement des activités terroristes, appliquer des contrôles et des mesures pour atténuer ces risques, et détecter et déclarer efficacement les opérations financières douteuses à CANAFE.
Renseignements généraux
Le 24 février 2022, les forces russes ont lancé une invasion non justifiée et illégale de l’Ukraine. Les attaques perpétrées par la Russie au cours de la dernière année ont causé une dévastation généralisée des infrastructures et des biens ukrainiens, ainsi que la mort inutile de ressortissants ukrainiens, dont un grand nombre de civils.
Le Canada, en coordination avec ses partenaires et alliés, a imposé un nombre considérable de nouvelles sanctions aux personnes et entités liées à la Russie en réponse à la violation flagrante par la Russie du droit international et de l’ordre international fondé sur des règles.
Les personnes et les entités basées en Russie et visées par des sanctions par le gouvernement du Canada, en particulier celles dont les actifs financiers ont été acquis par le biais d’activités illégales, sont susceptibles de déployer des techniques et des canaux de blanchiment d’argent établis pour échapper aux sanctions et d’utiliser d’autres canaux financiers pour transférer des actifs financiers en dehors de la Russie s’ils ne peuvent accéder aux méthodes traditionnelles.
En outre, des sanctions ont été imposées en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales (LMES), le Canada a également plaidé avec force pour que l’Union européenne élimine les banques russes de la Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunications (SWIFT), un système de messagerie de paiement utilisé par plus de 11 000 institutions financières dans le monde. HuitNote de bas de page * banques russes ont ensuite été retirées du système.
La Russie a tenté de contourner ces mesures en encourageant l’utilisation de son propre système de remplacement à SWIFT, le Système de transfert de messages financiers (Система передачи финансовых сообщений), mieux connu sous le nom de SPFS, qui a été établi en 2014 après l’invasion de la Crimée par la Russie. La banque centrale russe a affirmé en septembre 2022 que 50 institutions financières avaient rejoint le SPFS au cours de l’année précédente, portant le nombre total de membres à 440.
Opérations financières dans le contexte des sanctions imposées par le Canada
Le Règlement sur les mesures économiques spéciales visant la Russie impose des interdictions de transactions à l’encontre des personnes et des entités inscrites sur la liste, ainsi que des interdictions sur certains biens désignés et les services financiers, techniques ou autres services liés à ces biens. La réglementation impose également des restrictions sur certains secteurs, comme ceux de la finance, de la défense et de l’énergie, et impose des interdictions à grande échelle sur les navires associés à la Russie ou à des sociétés russes d’accoster au Canada ou de passer dans les eaux canadiennes.
Dans la plupart des cas, les interdictions de transactions empêchent les personnes au Canada et les Canadiens à l’extérieur du Canada de se livrer à toute activité liée aux biens des personnes inscrites ou de leur fournir des services financiers ou connexes. Il importe de noter qu’un certain nombre d’institutions financières russes sont indiquées dans ces règlements et qu’il est donc interdit aux Canadiens de se livrer à certaines transactions (y compris les paiements et les transferts de fonds) avec les entités inscrites sur la liste.
Pour déterminer si une personne ou une entité est une personne inscrite sur la liste, la Liste consolidée des sanctions autonomes canadiennes est accessible pour faciliter la consultation. La Liste consolidée énumère les noms des personnes et des entités qui sont inscrites aux annexes des règlements adoptés en vertu de la LMES et de la Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus (LJVDEC). Bien que les listes établies en vertu de la LJVDEC ne se rapportent pas à un pays spécifique, un certain nombre de ressortissants étrangers russes y figurent, ce qui peut avoir des implications pour certaines activités ou transactions. Toutefois, veuillez noter que ces noms ont été regroupés en une liste consolidée à des fins administratives seulement. Pour savoir avec précision quelles dispositions d’un règlement donné s’appliquent à une personne ou à une entité particulière, il faut consulter le règlement à l’annexe duquel la personne ou l’entité est inscrite.
Affaires mondiales Canada (AMC) est responsable de l’administration des sanctions canadiennes en vertu de la LJVDEC, de la LMES et de la Loi sur les Nations Unies. La Gendarmerie royale du Canada et l’Agence des services frontaliers du Canada sont chargées de l’application de ces lois et des règlements connexes. Tous les Canadiens doivent signaler à la GRC l’existence de biens appartenant à une personne désignée ou contrôlés par elle, ainsi que toute transaction envisagée en rapport avec ces biens. Les déclarations volontaires et obligatoires, en particulier de la part des institutions financières canadiennes, renforcent l’efficacité des sanctions canadiennes.
Caractéristiques associées à un risque élevé d’exposition aux activités de blanchiment d’argent lié à la Russie
L’analyse de CANAFE a mis en évidence l’utilisation continue de pays intermédiaires pour mettre en place des réseaux complexes de sociétés fictives et de sociétés-écrans (souvent enregistrées à des adresses dans des centres financiers extraterritoriaux ou des paradis fiscaux) et des comptes bancaires de non-résidents (généralement situés dans des pays qui pratiquent le secret bancaire ou ceux connus pour accueillir des clients russophones) comme une caractéristique clé des méthodes de blanchiment d’argent liées à la Russie.
Les canaux financiers alternatifs — parmi lesquels les cryptomonnaies et autres technologies financières émergentes — ont également joué un rôle important dans les mouvements financiers illicites liés à la Russie et liés aux produits de la criminalité, mais à plus petite échelle.
Structures d’entreprise opaques, pays à risque élevé et banques non résidentes
Les entités et les particuliers russes qui cherchent à dissimuler l’origine ou la propriété des produits de la criminalité utiliseraient des réseaux complexes de structures d’entreprise dans divers pays pour masquer leur implication dans le système financier international. Ces structures comprennent des sociétés-écrans et des sociétés fictives conçues pour dissimuler la propriété, les sources de fonds et les pays impliqués dans les opérations financières. De plus, le blanchiment d’argent lié à la Russie miserait sur l’utilisation du blanchiment d’argent par voie commerciale et d’autres techniques pour déplacer, dissimuler et utiliser des actifs dans le monde entier.
Des personnes cherchant à blanchir les produits de la criminalité et de la corruption, en particulier celles qui font l’objet de sanctions imposées par le Canada ou ses alliés, tenteraient également de plus en plus de dissimuler l’identité du bénéficiaire effectif ultime des actifs en transférant la propriété légale à des membres de leur famille, à des personnes avec qui elles sont étroitement associées et à d’autres prête-noms.
Les caractéristiques potentielles d’opérations douteuses sont les suivantes :
- La participation de cabinets juridiques, y compris de prestataires de services aux entreprises basés dans des centres financiers extraterritoriaux, qui se sont historiquement spécialisés dans la clientèle russe ou dans les opérations liées aux élites russes et à leurs associés.
- Il convient d’accorder une attention particulière aux pays précédemment associés aux mouvements financiers russes qui sont identifiés comme présentant une augmentation récente notable de la création de nouvelles sociétés.
- Les facilitateurs des mouvements financiers illicites liés à la Russie sont connus pour faire un usage intensif de structures d’entreprise opaques telles que les sociétés en commandite (SC), les sociétés à responsabilité limitée (SRL) et les sociétés à l’étranger telles que les sociétés commerciales internationales (SCI).
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Un modèle de sociétés fictives enregistrées dans des paradis fiscaux traditionnels effectuant des virements internationaux en utilisant des institutions financières dans des pays distincts de ceux de l’enregistrement de la société (banque non résidente) et associées aux mouvements financiers russes.
- Le système de correspondance bancaire imbriqué, dans lequel des banques situées dans des pays à risque élevé et offrant des services à des clients russophones détiennent des comptes dans des pays à faible risque et effectuent des paiements internationaux via ces comptes.
- Correspondance bancaire, où les institutions financières canadiennes sont utilisées comme point de transit pour le blanchiment d’argent international. Les institutions financières canadiennes doivent examiner les relations de correspondance bancaire et doivent surveiller et signaler les opérations de correspondance bancaire qui présentent les caractéristiques du blanchiment d’argent.
- Une attention particulière doit être accordée aux cas où les institutions financières ou leurs intermédiaires sont connectés au système de paiement russe connu sous le nom de SPFS (Система передачи финансовых сообщений (СПФС)).
- Les sociétés fictives et les sociétés-écrans suspectes, qui n’ont aucune présence en ligne ou une présence minimale. Il peut s’agir de l’absence de sites Web d’entreprises présentant des informations commerciales normales, telles que les produits et services, les coordonnées et l’emplacement géographique.
- Des entités dont la dénomination sociale est trop générique, non descriptive ou facilement confondue avec celle d’une entité sociale mieux connue. En outre, la dénomination sociale peut être régulièrement mal orthographiée de différentes manières.
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Les pays où les obstacles à la création de sociétés fictives sous forme de sociétés commerciales générales, de sociétés à responsabilité limitée (SRL) ou d’entités de zones de libre-échange sont peu nombreux sont couramment utilisés à des fins de blanchiment d’argent professionnel et d’évasion de sanctions.
- Il convient d’accorder une attention particulière aux entités situées dans des centres de commerce international présentant des lacunes en matière de lutte contre le blanchiment d’argent, comme les Émirats arabes unis, ou dans des territoires qui ont connu un déclin récent en matière de gouvernance responsable et de développement démocratique, comme Hong Kong.
- Des comptes auprès d’institutions financières ou dans des pays associés aux mouvements financiers russes qui connaissent une augmentation soudaine de la valeur transférée vers leurs institutions ou zones respectives, sans justification économique ou commerciale claire.
- Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, certaines personnes et entités liées à la Russie ont augmenté leur utilisation des transactions immobilières à des fins de blanchiment d’argent, en particulier dans des pays comme les Émirats arabes unis et la Türkiye. Voir le rapport opérationnel de CANAFE pour d’autres indicateurs de blanchiment d’argent liés à l’immobilier plus généraux.
Monnaies virtuelles et autres canaux financiers alternatifs
Les canaux financiers alternatifs — y compris les cryptomonnaies et d’autres technologies financières émergentes — peuvent jouer un rôle dans les mouvements financiers illicites liés à la Russie et liés aux produits de la criminalité. Les criminels et organisations criminelles peuvent utiliser les cryptomonnaies comme véhicule financier pour obscurcir la source des produits du crime afin de les intégrer dans le système financier traditionnel.
Les caractéristiques potentielles associées aux opérations douteuses en monnaie virtuelle liées à la Russie peuvent inclure :
- Les opérations d’un client sont amorcées depuis ou envoyées vers des adresses de protocole Internet (IP) situées en Russie, au Belarus, dans des pays avoisinants où les systèmes de lutte contre le blanchiment d’argent ou le financement du terrorisme sont faibles, ou dans d’autres pays faisant l’objet de sanctions complètes.
- Les opérations d’un client sont connectées à des adresses de monnaie virtuelle liées à des entités ou des personnes visées par des sanctions qui peuvent chercher à transférer les produits du crime.
- Une opération présente une exposition opérationnelle directe ou indirecte à des échanges ou services de monnaie virtuelle situés en Russie ou dans un autre pays à risque élevé dont la réglementation de lutte contre le blanchiment d’argent est faible.
- L’utilisation de courtiers non agréés pour dévier les cryptomonnaies envoyées par les services et plateforme d’échanges russes au profit de tiers inconnus afin d’éviter les seuils de vérification de l’identité du client et de déclaration.
Une analyse de source ouverte des opérations en cryptomonnaies indique que les personnes et entités russes représentent une part disproportionnée de la criminalité liée aux cryptomonnaies, y compris la fraude en ligne et les rançongiciels.
Les caractéristiques potentielles associées aux opérations impliquant le produit de rançongiciel et d’autres crimes cybernétiques peuvent inclure :
- Un client reçoit une monnaie virtuelle d’un ou de plusieurs portefeuilles privés, et amorce immédiatement des transferts multiples et rapides pour l’échanger contre d’autres monnaies virtuelles (saut de chaîne) sans but apparent, suivis d’un retrait immédiat en monnaie fiduciaire.
- Un client a une exposition opérationnelle, directe ou indirecte, à un service de mélange de monnaies virtuelles.
- Un client a une exposition opérationnelle de réception, directe ou indirecte, à un rançongiciel identifiée par un logiciel de traçage d’analyse de la chaîne de blocs.
- D’autres indicateurs liés aux opérations en monnaie virtuelle tels que présentés sur le site Web de CANAFE.
Opérations financières liées à l’évasion de sanctions
Outre les obligations en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, les entités déclarantes peuvent avoir d’autres obligations légales en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales et des règlements connexes en ce qui concerne la surveillance et la déclaration des biens et des activités pertinents liés aux personnes et aux entités visées par des sanctions. Les entités déclarantes sont encouragées à prendre des mesures pour connaître leurs obligations à l’égard du régime de sanctions du Canada et à consulter le site Web des Sanctions canadiennes pour obtenir de plus amples renseignements.
Bien que l’évasion de sanctions ne constitue pas en soi une infraction de blanchiment d’argent, les transactions financières avec la Russie ou avec des entités et des juridictions engagées dans des activités financières impliquant la Russie peuvent constituer un risque plus élevé de blanchiment des produits de la criminalité. Les entités déclarantes doivent donc faire preuve d’une plus grande diligence en ce qui concerne ces transactions.
Veuillez noter que les sanctions peuvent être modifiées sans préavis. Des informations supplémentaires sont également accessibles sur la page Web Sanctions – Invasion russe de l’Ukraine.
Déclaration à CANAFE
Les entités déclarantes doivent présenter une déclaration d’opérations douteuses à CANAFE s’il existe des motifs raisonnables de soupçonner qu’une opération financière effectuée ou tentée dans le cadre de leurs activités est liée à la perpétration, réelle ou tentée, d’une infraction de blanchiment d’argent ou de financement d’activités terroristes. Pour obtenir des conseils sur la façon de présenter des déclarations d’opérations douteuses à CANAFE, consultez Déclaration d'opérations douteuses à CANAFE.
Communiquer avec CANAFE
- Courriel : guidelines-lignesdirectrices@fintrac-canafe.gc.ca (veuillez inscrire Bulletin spécial 2023-SIRA-009 dans l’objet du courriel)
- Téléphone : 1-866-346-8722 (sans frais)
- Télécopieur : 613-943-7931
- Par la poste : CANAFE, 234, avenue Laurier Ouest, 24e étage, Ottawa (Ontario), K1P 1H7, Canada
Les bulletins spéciaux de CANAFE fournissent des informations sur les méthodes de blanchiment d’argent et de financement des activités terroristes nouvelles, émergentes ou particulièrement d’actualité. Ces bulletins ne constituent pas toutefois des avis juridiques. Veuillez consulter la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes et des règlements connexes pour obtenir une description complète des obligations que doivent remplir les entités déclarantes.
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