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Bulletin spécial sur le recours aux membres de la profession juridique dans le blanchiment d'argent et le contournement des sanctions

Numéro de référence : CANAFE-2024-SB003
Octobre 2024

En vertu de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes (la Loi), le Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE) est habilité à produire du renseignement stratégique sur la nature et l'étendue du blanchiment d'argent, du financement des activités terroristes et de contournement de sanctions. Le présent bulletin spécial offre de l'information contextuelle concernant les typologies associées au blanchiment des produits de la criminalité par l'entremise de la profession juridique et vise à renseigner les entités déclarantes sur les indicateurs potentiels connexes des opérations financières réalisées ou tentées à cet égard.

Le contenu du présent bulletin peut servir aux entités déclarantes à cerner et à évaluer les risques de blanchiment d'argent, de financement des activités terroristes ou de contournement de sanctions, à appliquer des contrôles et des mesures pour atténuer ces risques, et à détecter et à déclarer efficacement les opérations douteuses à CANAFE.

Professionnels du droit vulnérables à l'exploitation par les blanchisseurs d'argent

Les membres de la profession juridique possèdent des connaissances et des compétences qui peuvent être utiles aux acteurs criminels qui cherchent à blanchir les produits de la criminalité ou à contourner les sanctions économiques. Les professionnels du droit peuvent offrir toute une gamme de services liés aux activités financières. Ils peuvent notamment effectuer des opérations financières et détenir en fiducie des sommes d'argent pour leurs clients, créer des entités juridiques (sociétés et fiducies), faciliter les opérations immobilières et connexes, et agir à titre d'actionnaires ou d'administrateurs. Les services fournis par les professionnels du droit leur donnent un aperçu unique de la structure, des dispositions et des pratiques commerciales de leurs clients.

Une analyse des fonds de données effectuée par CANAFE établit que le rôle des professionnels du droit dans les opérations financières est considérable et que des sommes élevées sont potentiellement à risque. Bien que la grande majorité des professionnels du droit mènent des opérations légitimes, les déclarations d'opérations douteuses transmises à CANAFE indiquent que de nombreux stratagèmes professionnels de blanchiment d'argent peuvent avoir recours à la participation d'un professionnel du droit. Une personne peut faire l'objet d'une déclaration d'opérations douteuses, mais cela ne signifie pas nécessairement qu'elle se livre à des activités criminelles. Ces opérations déclarées continuent cependant de figurer dans les communications aux organismes d'application de la loi afférentes à diverses situations, y compris la traite de personnes, le trafic de stupéfiants et la fraude. En 2022 2023, environ 615 000 déclarations d'opérations importantes en espèces et de télévirements étaient liées à des professionnels du droit. La valeur totale de ces opérations s'élevait à 110 milliards de dollars, ce qui ne représente qu'un aspect du rôle important que jouent les professionnels du droit et les cabinets d'avocats au sein de l'activité économique canadienne. Au cours de la même année, environ 2 400 déclarations d'opérations douteuses soumises à CANAFE par des entités déclarantes dans le cadre du régime canadien de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement des activités terroristes se rapportaient à des opérations qui impliquent des professionnels du droit ou des cabinets d'avocats.

Des rapports publiés par le Groupe d'action financière (GAFI) et le Groupe Egmont des cellules de renseignements financiersNote de bas de page 1 ont documenté les vulnérabilités et les risques liés au blanchiment d'argent, au financement des activités terroristes et au contournement des sanctions au sein de la profession juridique. Les professionnels du droit complices, en tant que facilitateurs et blanchisseurs d'argent tiers qui sont distincts des activités criminelles qui génèrent des produits illicites, donnent une apparence de légitimité et de respectabilité à une opération financière qui pourrait dissuader les institutions financières de la mettre en doute ou d'éveiller leurs soupçons. De plus, les principes établis du secret professionnel de l'avocat dans les systèmes de common law et le respect du secret professionnel au Québec, qui protègent la communication d'avis juridiques entre certains professionnels du droit et leurs clients, peuvent être utilisés à mauvais escient pour masquer des informations et fermer les voies d'interrogation des institutions financières concernant les détails de la transaction et la source des fonds.

Exception faite des sociétés de notaires et des notaires publics de la Colombie‑Britannique, les professionnels du droit ne sont pas des entités déclarantes dans le cadre du régime de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement des activités terroristes du Canada. Bien que la profession juridique soit autoréglementée et qu'elle s'impose des obligations en matière de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement des activités terroristes, elle n'est pas assujettie aux obligations de la Loi ni à la surveillance directe de CANAFE. Cette lacune dans la surveillance législative de la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement des activités terroristes est susceptible d'attirer des professionnels du blanchiment d'argent, du crime organisé, et des groupes transnationaux de crime organisé qui cherchent à exploiter le secteur pour transférer ou dissimuler des fonds et des activités illicites.

Étant donné que les professionnels du droit autres que les sociétés de notaires et les notaires publics de la Colombie‑Britannique n'ont pas d'exigences liées à un programme de conformité, à la tenue de dossiers, au besoin de bien connaître leurs clients et aux déclarations en vertu de la Loi, les points de vue fournis par les entités déclarantes et associés à des activités présumées de blanchiment d'argent, de financement d'activités terroristes, ou de contournement des sanctions sont essentiels.

Typologies

Les préoccupations concernant le rôle des professionnels du droit en matière de facilitation du blanchiment d'argent visent particulièrement leur aide dans la création et l'administration de sociétés et d'autres instruments juridiques, comme les fiducies et les fondations, et l'utilisation de comptes bancaires dans des emplacements extraterritoriaux.

Les instruments juridiques peuvent servir à embrouiller ou à camoufler les liens entre les contrevenants et les produits de leurs activités criminelles, tandis que les comptes bancaires à l'étranger offrent un niveau de confidentialité qui sert à masquer des fonds illicites. De telles structures financières ne sont pas illégales en soi et peuvent servir à des fins légitimes, mais l'utilisation d'instruments juridiques comme les sociétés fictives qui servent à masquer les propriétaires effectifs soulève des préoccupations croissantes. Les avocats peuvent également agir à titre d'administrateurs, d'agents, de fiduciaires ou même de propriétaires ou d'actionnaires d'une entreprise, et l'adresse de leur cabinet sert d'adresse aux sociétés contrôlées par des acteurs criminels.

Publiée en 2018, une évaluation menée conjointement par le GAFI et le Groupe Egmont s'est penchée sur les façons dont les professionnels du droit peuvent aider les criminels à dissimuler des richesses et des biens illicites. Ce document souligne le rôle important joué par les facilitateurs, notamment les intermédiaires professionnels et les administrateurs ou actionnaires désignés, dans la mise sur pied et l'administration des structures d'entreprise et dans la dissimulation de l'identité des propriétaires effectifs et des contrôleurs d'actifs. Selon le rapport, le recours à des spécialistes et à des intermédiaires professionnels est une caractéristique essentielle des stratagèmes conçus pour dissimuler la propriété effective, en particulier dans les cas où les produits de la criminalité sont importants. Le rapport souligne également que les professionnels du droit sont souvent essentiels aux activités des réseaux professionnels de blanchiment d'argent en raison de leurs connaissances poussées et de leur expertise.

L'alerte opérationnelle de CANAFE sur le recyclage des produits de la criminalité au moyen de stratagèmes bancaires clandestins souligne que les professionnels du droit, comme les avocats, les notaires et les cabinets d'avocats, sont naturellement vulnérables face à l'exploitation en vue du blanchiment d'argent ou du financement d'activités terroristes. Ceci est dû au fait que l'identité des sources originales et des bénéficiaires véritables qui participent aux opérations financières, ainsi que le but des fonds, peuvent être retenus en toute légalité. Le récent bulletin spécial de CANAFE sur l'activité financière associée au contournement soupçonné des sanctions indique que des personnes qui ont fait l'objet de sanctions par le Canada ou ses alliés peuvent tenter de cacher le bénéficiaire effectif ultime des actifs en transférant la propriété légale à d'autres personnes ou en ayant recours à des facilitateurs professionnels (notamment des professionnels du droit) pour réaliser des opérations.

Un examen des communications de renseignements financiers envoyées aux partenaires de l'application de la loi et de la sécurité nationale a mise en évidence des cas où des avocats avaient directement participé à des typologies courantes de blanchiment d'argent. CANAFE a observé que les professionnels du droit utilisent souvent des fonds autres qu'en espèces, comme des télévirements et des titres négociables (p. ex. traites, chèques certifiés, chèques de compte personnel ou commercial) lorsqu'ils effectuent des opérations. Ces constatations soulignent que, selon le type d'opération et de déclaration reçue, les professionnels du droit qui participent à des opérations de blanchiment d'argent, de financement d'activités terroristes et/ou de contournement des sanctions jouent probablement un rôle aux étapes de dispersion et d'intégration des fonds.

Trois types d'activités menées par des professionnels du droit peuvent tout particulièrement signaler un risque accru de blanchiment d'argent, de financement d'activités terroristes et de contournement des sanctions : l'utilisation abusive de comptes‑clients ou de comptes en fiducie; les achats de biens immobiliers; la création et l'administration de fiducies et de sociétés.

Utilisation abusive de comptes‑clients ou de comptes en fiducie

Un compte‑client (ou un compte en fiducie) est un compte que possède un avocat ou un cabinet d'avocats et qui détient des fonds versés par le ou les clients pour servir à des paiements directement liés aux services juridiques fournis par le professionnel du droit ou le cabinet d'avocats. Des acteurs criminels et illicites sont susceptibles d'utiliser ces comptes à mauvais escient, en leur permettant de placer les produits de la criminalité dans le système financier officiel et/ou de disperser ces fonds. L'utilisation de comptes à cette fin signifie que les institutions financières pourraient poser moins de questions, en raison de la légitimité perçue qu'ajoute la participation de professionnels du droit.

Les comptes en fiducie peuvent :

Bien que le secret professionnel de l'avocat puisse dissimuler les détails des opérations liées à des comptes en fiducie, certaines caractéristiques concernant ces opérations demeurent visibles, ce qui permet de déceler des signaux d'alarme d'utilisation abusive potentielle. Voici quelques signaux d'alarme potentiels :

Achat de biens immobiliers

Au Canada, on a couramment recours à des avocats pour effectuer le transfert de biens immobiliers. L'immobilier a été et continue d'être un secteur attrayant pour les acteurs criminels et illicites qui se livrent au blanchiment d'argent et au financement d'activités terroristes. L'achat de biens immobiliers commerciaux et résidentiels est un moyen courant de recyclage des produits de la criminalité. Ces opérations semblent donner une légitimité aux fonds, car ils passent par le compte en fiducie d'un cabinet d'avocats, ainsi que lorsqu'ils sont échangés contre la propriété d'un bien. De plus, le revenu locatif ou le bénéfice réalisé par la vente du bien immobilier produit également un revenu légitime issu de fonds qui n'étaient pas légitimes à l'origine.

Voici quelques‑unes des méthodes couramment utilisées pour contourner les sanctions contre le blanchiment d'argent :

L'alerte opérationnelle publiée par CANAFE en 2024 sur le blanchiment des produits de l'évasion fiscale dans l'immobilier fournit également un ensemble d'indicateurs contextuels de risque associés au non‑respect des lois fiscales dans le secteur de l'immobilier.

Création et administration de sociétés et de fiducies

On a recours à des avocats pour la création de sociétés et de fiducies; les criminels les recherchent souvent pour conserver le contrôle de biens d'origine criminelle tout en entravant la capacité des forces de l'ordre à retracer l'origine et la propriété des biens. Les criminels se servent de sociétés et de fiducies comme mécanisme potentiel pour parvenir à ce résultat. Ils ont recours à des structures organisationnelles complexes, y compris des sociétés fictives et des sociétés‑écrans, pour dissimuler l'origine ou la propriété des produits de la criminalité.

Bien que la création de sociétés et de fiducies constitue un aspect important de la vulnérabilité des professionnels du droit, les criminels rechercheront aussi souvent la participation des professionnels du droit dans l'administration de ces sociétés et fiducies afin d'accroître le caractère respectable et la légitimité de l'entité et de ses activités. Voici quelques‑unes des méthodes couramment employées :

Voici quelques signaux d'alarme possibles de blanchiment d'argent ou de contournement de sanctions liés à cette activité :

Déclaration à CANAFE

Toutes les entreprises assujetties à la Loi et à son Règlement doivent produire des déclarations d'opérations visées par les seuils et des déclarations d'opérations douteuses à CANAFE s'il existe des motifs raisonnables de soupçonner qu'une opération financière — réalisée ou tentée — est liée à la perpétration réelle ou tentée d'une infraction de recyclage des produits de la criminalité, d'une infraction de financement des activités terroristes ou de contournement des sanctions.

Pour obtenir des instructions sur la manière de soumettre des déclarations d'opérations douteuses à CANAFE, veuillez consulter la Déclaration d'opérations douteuses à CANAFE.

Communiquer avec CANAFE

© Sa Majesté le Roi du chef du Canada, 2024.
FD4-40/2024F-PDF
978-0-660-73556-6

Les bulletins spéciaux de CANAFE fournissent de l'information sur les méthodes nouvelles ou émergentes de blanchiment d'argent, de financement des activités terroristes, de contournement des sanctions et de menaces envers la sécurité du Canada, ainsi que sur celles qui sont particulièrement d'actualité. Toutefois, leur contenu ne doit pas être considéré comme des conseils juridiques. Veuillez vous reporter à la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes et à sa réglementation connexe pour connaître l'intégralité des obligations des entités déclarantes.

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